Je me suis abstenu, tout au long de la procédure, d’affirmer mes positions sur Parcoursup alors que je participais à la commission pour la L1 Histoire de mon université. Non parce que je n’assumais pas mes positions, mais, ayant quelques amis engagés contre la réforme dans leur université (vraiment hein… pas derrière un clavier sur twitter entre deux cours ou deux sessions d’examen, moyennant un passage de 10 minutes en ag), je ne souhaitais pas donner l’impression de « crier avec les loups » et j’ai réservé mes arguments pour les discussions privées.
Or, il se trouve qu’il y a quelques semaines, j’ai appris avec stupeur que je m’étais compromis, que j’avais ainsi légitimé la réforme… Nous voici désormais bien avancés dans le mois de juillet : il est donc temps de publier ce billet de « retour d’expérience ».
Réglons une première question d’emblée : je ne suis pas favorable à la réforme mise en œuvre par la loi ORE. Elle l’a été de façon précipitée, au prétexte de dysfonctionnements attribués à l’algorithme APB là où le problème était – et reste – la question de la capacité de l’université à accueillir toutes celles et ceux qui souhaitent y accéder (et dans capacité, je me permets d’inclure non seulement les moyens accordés par l’ESR à nos universités, mais aussi les efforts des universitaires pour prendre en charge collectivement les enseignements et la gestion de nos formations avant la L3, la capacité du secondaire à former de futurs étudiants en Licence, sans parler d’une nécessaire réflexion sur l’offre d’études supérieures autres qu’universitaires…)
Un peu de contexte
En réalité, les deux seules véritables novations de Parcoursup à mon sens, c’est, d’une part, d’avoir transféré le travail qui était assuré par APB aux CEV (commissions d’examen des vœux) au sein des formations universitaires et aux conseils de classes dans le secondaire. C’est un surcroît de travail qu’il aurait été certainement plus facile d’absorber si tout cela n’avait pas été mis en place aussi vite. C’est, d’autre part, la suppression de la hiérarchie des vœux, à l’origine de la plupart des dysfonctionnements réels que l’on voit circuler depuis des semaines.
Si je suis opposé en principe à la sélection à l’université, je n’ai toutefois toujours pas d’avis totalement tranché sur la question car tout dépend ce que l’on nomme « sélection ».
Mes premiers enseignements universitaires remontent à 2006 : en un peu plus d’une dizaine d’années, et depuis trois ans comme titulaire à temps plein, il m’a été donné de constater qu’au moins 2 choses ne fonctionnent pas dans notre système : le bac comme porte d’entrée au supérieur ; le mode d’orientation des lycéens après le bac.
Sur le plan de l’orientation d’abord : dans les formations en histoire, de plus en plus d’étudiant·e·s nous font part du fait qu’ils sont là « par défaut ». C’est un élément essentiel du débat.
Prenons l’exemple des bacs pro, mobilisé à l’envi tant par les soutiens que par les critiques de Parcoursup en dépit de la très faible proportion qu’ils représentent dans nos filières. Le problème principal n’est pas leur niveau, mais le fait que la plupart des titulaires d’un bac pro qui se retrouvent dans nos formations espéraient faire un BTS, un DUT, voire une autre Licence universitaire. Je connais, moi aussi, des cas d’étudiant·e·s brillant·e·s passés par des bacs pro ou un DAEU et achevant leur scolarité par au moins un Master, j’en ai même dans ma famille. Or, ils et elles ont toutes et tous choisi la filière universitaire intégrée. Depuis mon arrivée à l’université de Lille, dans mes cours de L1, je n’ai jamais rencontré d’étudiant·e issu·e d’un bac pro qui avait vraiment fait le choix d’une Licence en histoire. Je donne l’exemple des bacs pro car c’est l’un de ceux ont été les plus discutés, notamment parce que le taux de réussite de ces étudiants minoritaires dans nos formations est proche de 0 %, mais ce problème des mauvaises orientations se retrouve dans tous les types de bac.
Sur le plan des prérequis d’une formation universitaire ensuite : si je suis opposé à la sélection à l’université, c’est parce qu’elle existe déjà en théorie. En effet, l’obtention du bac en France est censée attester la capacité des étudiant·e·s à suivre des études supérieures.
Or, pour ne prendre qu’un exemple crucial : comment expliquer qu’une part considérable de nos étudiantes et étudiants ne maîtrise pas suffisamment la langue pour rédiger des textes courts (je ne parle pas ici de fautes d’orthographe mais bien d’une capacité à rédiger des phrases qui aient du sens) ? Qu’ils arrivent à l’université en affirmant leur incapacité à lire des livres en entier ? etc . Ayant quelques amis dans le secondaire qui ont eu à corriger des copies ou à faire passer des oraux d’épreuves de bac dans toutes les séries générales et professionnelles, j’ai ma petite idée… Ainsi, que des directives soient données pour que la maîtrise de la syntaxe et de l’orthographe ne soit plus prise en compte dans la correction de la plupart des épreuves n’y est certainement pas pour rien, même que si ce n’est qu’un problème parmi d’autres. L’absence de motivation et, de ce fait, d’une implication minimale pour les études entamées dans nos filières pour celles et ceux qui y sont « par défaut » en est un autre…
Il serait par ailleurs trop facile de faire porter toutes les responsabilités sur le déroulement des études secondaires et les conditions d’attribution du bac. Sur le déroulement des études universitaires, il en va de même : j’ai vu des étudiants arriver au niveau master sans savoir écrire correctement une phrase. Ils ne sont bien sûr pas majoritaires, mais ils permettent de constater l’effet pernicieux des deuxièmes sessions exclusivement orales et des compensations cumulées non seulement au semestre, mais aussi à l’année.
À la limite, peu importe le niveau des étudiants à leur arrivée à l’université, nous sommes là pour les aider ensuite à progresser s’ils y mettent un peu du leur. Mais si le manque de moyens est indéniable – ayant eu des groupes de TD à 15/20 il y a dix ans et d’autres à 40/45 depuis trois ans, j’ai bien conscience d’avoir été nettement plus utile aux étudiants en difficultés il y a 10 ans que maintenant -, il n’explique pas tout. On sait tous qu’il y a aussi une part de responsabilité collective des enseignants qui, parfois, considèrent qu’il vaut mieux s’éviter une seconde session en gonflant un peu les notes de la première…
Bac ne jouant plus vraiment son rôle, université n’ayant et ne se donnant plus les moyens d’accompagner les étudiants en difficulté, la situation n’était donc pas au beau fixe avant Parcoursup.
Pourquoi participer à la commission d’examen des vœux ?
Parcoursup va-t-il régler cette situation ? Bien sûr que non ! Alors, vous me direz, pourquoi avoir participé à la commission ?
En premier lieu parce qu’en tant que responsable pédagogique d’une année de Licence, il était logique que je m’implique dans la procédure. Dans notre faculté, les responsables d’année en histoire sont en effet chargés non seulement des emplois du temps, de la préparation et de la tenue des jurys de l’année dont ils ont la responsabilité, de recevoir les étudiants en difficulté, convoquer ceux qui posent problème… mais aussi des décisions à prendre en cas de demande de réorientation des étudiants venant d’autres filières (prépa, autre licence, etc.). Le fait est que si Parcoursup a eu une utilité cette année en dépit de ses nombreuses faiblesses, c’est qu’il nous a permis de prendre collectivement connaissance des dossiers de nos futurs étudiants potentiels : de leurs dossiers scolaires, des avis de leurs enseignants du secondaire, etc. Il aura peut-être un autre intérêt à l’avenir : obliger les enseignants du supérieur à échanger un peu plus avec leurs collègues du secondaire, non seulement pour clarifier ce que sont les attentes dans le supérieur, mais aussi pour en savoir plus sur ce qui est fait, d’un point de vue pédagogique notamment, de part et d’autre du bac. Pour mettre fin, aussi, à certains fantasmes ou à des visions erronées. Je ne prendrai qu’un exemple : certes il faut être « autonome » à l’université, mais le temps des enseignements majoritairement « magistraux », déroulés sans échanges avec les étudiants, est bel et bien derrière nous (en tous cas dans les filières que je connais). La grande majorité des enseignements se fait sous la forme de travaux dirigés, en plus ou moins petits groupes. Certes beaucoup de travail personnel est exigé des étudiants, mais ils sont guidés pour cela, avec des rendus et corrigés intermédiaires, etc. Pourtant, à chaque journée « portes ouvertes », on rencontre des étudiants qui s’inquiètent de ne plus bénéficier « d’aucun encadrement », de « suivi pédagogique », etc.
En second lieu parce que j’ai toujours considéré que pour s’opposer à quelque chose, il faut savoir vraiment – et pas en fonction de « on-dit » sur twitter ou par un écho brièvement entendu en passant dix minutes à une AG – comment cela fonctionne. C’est ce qui m’a par exemple permis de savoir, dès le début, que non, il n’était pas possible de classer tous les élèves ex-aequo. De comprendre aussi très rapidement que, vu le nombre de demandes d’étudiants qui, manifestement ne souhaitaient pas venir en Histoire, un classement par ordre alphabétique serait catastrophique. Sans parler de ce que cela impliquait pour les étudiants du Nord qui sont tout de même quelques-uns à avoir un patronyme commençant par W.
En troisième lieu, parce qu’il a été d’emblée très clair que, si nous souhaitions obtenir des moyens supplémentaires pour aider les étudiants les plus fragiles, l’implication dans la commission Parcoursup était nécessaire puisqu’il fallait cerner ces étudiants, en examinant les dossiers et en les classant. Et, de fait, nous avons « joué le jeu » parce que nous n’avons rencontré, de ce côté-là, aucun obstacle. Nous avons accompagné le classement de l’élaboration d’un plan d’aide aux étudiants placés en « oui si » qui supposait l’obtention de moyens (projet Voltaire pour la maîtrise de la langue française, création de groupes d’accompagnement en méthodologie du travail universitaire en petits groupes sur toute l’année), qui nous ont été accordés sans aucune discussion.
Quatrième raison : parce que nous savions, dès le départ, que, dans notre formation, il n’y aurait strictement aucune sélection. Nous avions, depuis 2015 à Lille, une capacité d’accueil limitée en L1 Histoire fixée à 450 places. L’an dernier, avec APB, 1900 lycéens avaient placé notre formation dans leurs vœux. Cette année, avec Parcoursup, ce sont 1600 environ. L’an dernier, personne n’avait été refusé, nous savions ici que ce serait pareil. Et, de fait, avant même la fin de la première phase de Parcoursup, nous avons « appelé » les candidats jusqu’au 1680e demandeur : nous n’avons pas atteint notre « CAL » (Capacité d’Accueil Limitée) et sommes donc en phase complémentaire, pour accueillir ceux qui n’avaient pas effectué la première phase ou ceux qui n’ont été acceptés nulle part ailleurs. Alors je veux bien que l’on parle de sélection, mais, en ce qui concerne notre propre filière, c’est une sélection opérée par les étudiants et force est de constater que nous ne sommes pas leur premier choix. Voilà qui devrait nous interroger (et interroger les quelques universitaires qui, pour certains vent debout contre Parcoursup, n’enverraient pas leurs enfants ailleurs qu’en CPGE, et en tout cas pas à l’université…). Je suis bien sûr tout à fait conscient du fait qu’il s’agit sans doute d’un premier pas vers une « sélection » bien réelle, mais, pour pouvoir en prendre la mesure, pour pouvoir en contester le principe et l’application quand il s’agira de nous demander de baisser les capacités d’accueil des filières non sélectives, il me semble que maîtriser l’outil ne sera pas inutile.
Et enfin, cinquième raison : parce qu’être présent aux réunions restait le meilleur moyen de contester toutes velléités de sélection sociale. Totalement libres des critères à prendre en compte (dans la limite de ceux qui avaient été annoncés sur la fiche de formation mise en ligne en janvier bien sûr), nous avons fait en sorte de n’appliquer aucune mesure de discrimination territoriale (par type ou secteur de lycée), aucune hiérarchisation par type de bac (en n’utilisant aucun coefficient particulier pour des disciplines qui ne seraient enseignées que dans certaines filières par exemple). Contrairement à ce que j’ai pu lire çà et là, nous n’avons, par exemple, procédé à aucun tirage au sort pour départager les ex-aequo. Nous avons examiné en détail tous les dossiers des ex-aequo en les départageant sur la base de l’avis de leurs enseignants d’histoire-géo (et autres avis éventuels exprimés sur la « fiche avenir), de leur projet de formation motivé et de leurs résultats en 1e et Tle dans cette discipline. Bien sûr que cela n’a rien de parfait.
Il faut dire que, dans notre formation, aucun des membres de la commission n’était sur une ligne « sélection sociale », ce qui est certainement une chance (et ce qui explique aussi, en partie, le plaisir que j’ai eu à exercer mes fonctions à Lille 3 ces trois dernières années).
Et en réalité, pour être honnête, si j’assume totalement ma position de principe quant au refus de l’application de tout critère de sélection sociale/territoriale/etc., dans notre cas précis, cela n’aurait rien changé puisque nous avons accepté toutes celles et tous ceux qui souhaitaient venir. En outre, j’ai eu vent de formations où des membres de commission ont fait en sorte de faire baisser le classement des bacs pro et qui, de toute façon, ont dû prendre toutes celles et ceux qui voulaient bien venir dans leur formation. Je dois avouer que je le regrette un peu car j’aurais beaucoup aimé les voir s’expliquer au TA…
Quel bilan ?
À notre petite échelle, nous avons pris strictement toutes celles et tous ceux qui souhaitaient venir en histoire à Lille l’année prochaine et nous disposons encore de places à prendre en phase complémentaire. En outre, nous avons obtenu des moyens supplémentaires pour accompagner les étudiants qui en auront besoin. Il va de soi que cela ne règlera pas les difficultés que nous éprouvons à faire notre métier correctement du fait de politiques mises en œuvre au moins depuis les années 2000.
Ce billet n’est pas pour autant une défense de Parcoursup dans son ensemble. Le nouveau système est très perfectible et les dysfonctionnements sont bien réels, des bugs rencontrés par l’application mobile, aux nombreuses difficultés posées par la disparition de la hiérarchie des vœux.
Si une nouvelle réforme ne vient pas encore une fois tout remettre à plat, il y aura beaucoup de corrections à apporter au dispositif. À commencer par le rétablissement de la hiérarchie des vœux.
Mais, surtout, un élément essentiel me semble être la publicisation des critères de classement de candidature. Non pas ex-post mais bien en amont, pour que lycéens soient informés des prérequis nécessaires à chaque formation, prérequis qui, à mon sens, devraient être élaborés en concertation avec les collègues du secondaire ; voire même être harmonisés pour l’ensemble des filières non-sélectives.
Ce dernier point me semble essentiel. Plusieurs situations ont été montées en épingle ces derniers jours alors qu’elles n’avaient rien à voir avec Parcoursup. Toujours à propos de filières qui ont toujours été sélectives : un étudiant n’ayant pas obtenu de place en BTS carrières sanitaires et sociales et qui se retrouve en « arts » (ce qui implique qu’au lieu de tenter de rentrer en PACES ou en IFSI, ce candidat au métier d’infirmier puis de médecin, a privilégié une formation sélective ne menant pas directement au métier qu’il souhaite exercer et qu’il a utilisé l’un de ses vœux pour la filière « arts » alors qu’il ne souhaite pas y aller…) ; une autre, souhaitant aller en CPGE à Paris, qui a refusé les places qui lui ont été accordées et se retrouverait ainsi sans affectation à ce jour ; une lycéenne ayant délibérément échoué au bac pour s’assurer d’avoir une place dans le BTS de ses rêves… Aucun de ces cas, révélateurs de problèmes qui existaient déjà avant Parcoursup, ne concerne l’accès en première année à l’université.
En revanche, je ne doute pas un instant que des commissions moins bien intentionnées que la nôtre aient procédé à des discriminations sociales, territoriales, etc. Et peut-être est-ce là qu’il faut attaquer si l’on souhaite vraiment que Parcoursup ne soit pas l’antichambre d’une sélection visant à amplifier la reproduction sociale. Si les « algorithmes » ne sont pas publics, tout·e étudiant·e ayant été refusé·e dans une formation de L1 non sélective pourra, s’il ou elle en fait la demande, obtenir des explications et, le cas échéant, procéder à un recours, voire aller jusqu’au tribunal administratif.
Crédit image de une : parvis du site « pont de bois » de l’université de Lille (photo personnelle)