Ces jours ci le projet de loi pour une République numérique, qui a fait l’objet d’une consultation publique en ligne, est examiné en commissions au Sénat. Son article 17 (adopté à l’Assemblée dans la nuit du 21 janvier) pose les fondements d’un accès ouvert aux publications scientifiques.
En voici un extrait ci-contre (cliquez pour agrandir – voir aussi ici en PDF le projet adopté à l’Assemblée – p. 18-21 pour les articles 17 et 18).
Contrairement à ce que l’on a pu lire ça et là, il ne s’agit donc pas d’obliger les auteur.es à mettre à disposition leurs publications en accès ouvert, mais de leur offrir la possibilité de le faire. De même ne s’agit en aucun cas d’imposer aux auteur.es qui le décideraient de déposer leurs publications dans une archive ouverte particulière, mais de leur permettre de « mettre à disposition », dans un « format ouvert », par « voie numérique » leurs résultats, quelle que soit la plateforme ou le site qu’ils et elles souhaitent utiliser.
Dès avant son adoption par l’Assemblée, mais encore plus depuis, ce projet de loi a suscité des interrogations légitimes de la part de chercheurs impliqués dans des revues des SHS ; ces inquiétudes légitimes se sont parfois traduites par des raccourcis un peu rapides et, malheureusement, rarement par des débats vraiment sereins et ouverts.
Deux tribunes ont ainsi été successivement publiées par quelques opposants à l’accès ouvert : huit enseignants-chercheurs, responsables de revues généralistes et de SHS, ont ainsi d’abord entendu lutter contre une « étatisation des revues de savoir » dans Le Monde en janvier 2016 ; tandis qu’ils furent dix-sept (dont un comité éditorial et trois comités de rédaction) à dénoncer le « danger » que représenterait l’article 17 de la loi pour une République numérique dans Libération en mars 2016.
Entre temps, en réponse à ces initiatives, plusieurs tribunes ont été publiées en faveur de l’accès ouvert.
Dans Le Monde, le 7 mars 2016, pas moins de trente-trois chercheuses et chercheurs, dont les lauréats de trois prix Nobel et d’une médaille Fields, ont appelé à l’adoption des articles 17 et 18 de la loi « Pour une science ouverte à tous« . Cette tribune a ensuite fait l’objet d’une transformation en pétition sur la plateforme Change.org fin mars. Dans une tribune publiée dans l’Humanité du 1er-3 avril 2016, réunissant quarante et un signataires professionnels des sciences humaines et sociales, de la doctorante au professeur des universités, du conservateur des bibliothèques à la directrice de recherche au CNRS, dont 2 comités de rédaction et 7 directrices/directeurs de revues, nous avons invité « les actrices et acteurs de la recherche et de l’enseignement en SHS à manifester leur soutien à l’accès ouvert et à la fouille de textes et données » en signant cette pétition. Cette dernière, à ce jour, a réuni de plus de 2.200 signatures.
Enfin, sur le site de Libération, le 28 mars 2016, une tribune intitulée « Publications scientifiques, on vaut mieux que ça ! » (reproduite infra) a été publiée par un collectif de trente-trois professionnels des sciences, techniques et SHS, de la doctorante à la directrice de recherche au CNRS, de l’ingénieur d’études au conservateur des bibliothèques, en passant par le comité de rédaction d’une revue. Nous y appelons notamment « chacun à garder à l’esprit que c’est en encourageant la diffusion de la connaissance scientifique qu’on sert le mieux l’intérêt général. Un tel objectif ne se confond pas avec les intérêts particuliers de tel ou tel éditeur« .
Vous partagez ce point de vue ? N’hésitez pas à le faire savoir en signant la pétition « Pour une science ouverte à tous«
Voir aussi le Tumblr « Ouvrons les sciences humaines et sociales« , florilège de prises de positions argumentées en faveur de l’accès ouvert en SHS
Tribune parue le 28 mars sur le site de Libération :
Publications scientifiques : on vaut mieux que ça !
Le projet de loi pour une République numérique adopté par l’Assemblée nationale, sera prochainement examiné par le Sénat. Son article 17 introduit une nouveauté importante pour les chercheurs. Actuellement, pour publier leurs résultats, ils doivent concéder, sans contrepartie de rémunération, l’exclusivité de leurs droits d’auteur à des éditeurs privés, qui facturent ensuite l’accès à ces articles, souvent fort cher, aux organismes de recherche, aux universités et aux enseignants. Les éditeurs interdisent souvent aux chercheurs de diffuser leur propre production scientifique sur leur site web ou celui de leur établissement : ainsi, le lecteur est obligé de passer par le site de l’éditeur, parfois à un tarif prohibitif.
Avec la nouvelle loi, pareilles clauses léonines seront réputées non écrites. Les auteurs auront alors la possibilité (mais pas l’obligation) de déposer, même après publication en revue, leurs articles dans une archive ouverte telle que HAL, recommandée et gérée par de grands organismes de recherche publique dont le CNRS.
Cette réforme paraît donc de bon sens. Elle suscite pourtant des oppositions, comme celles qui ont été exprimées ici même dans une tribune le 17 mars.
Comme l’écrivent nos collègues dans leur tribune, la production d’une revue scientifique est une tâche exigeante, qui mobilise un large éventail de compétences aussi bien pour expertiser les articles que pour les mettre en forme. Or, le mérite de cette tâche ne revient pas aux éditeurs privés. Si l’éditeur commercial est bien, en droit français, le garant légal d’une publication, et s’il assure la plupart du temps l’impression et la diffusion du document, dans l’écrasante majorité des cas les revues françaises sont dirigées, rédigées, expertisées, mises en forme, toilettées et typographiées par des agents publics (chercheurs, enseignants-chercheurs, personnels techniques) non rémunérés par les éditeurs. Quant aux éditeurs internationaux, quand ils ne laissent pas la mise en page à faire aux auteurs, ils la sous-traitent volontiers dans des pays à bas coûts.
Sans doute faut-il le préciser, HAL et les autres archives ouvertes ne se substituent pas à l’évaluation par les pairs et aux formats de diffusion qui en découlent. L’évaluation de la qualité scientifique d’une recherche est attestée, quoi qu’il arrive, par un comité scientifique formé principalement d’universitaires, et non par un éditeur. Le support – papier ou numérique – n’a pas d’importance. Les derniers travaux sur les ondes gravitationnelles ont ainsi été publiés en Open Access et personne n’a contesté leur qualité. Ce n’est donc pas ce mode de diffusion qui menace les petites maisons d’édition universitaires et leur qualité de publication ; la cause est plutôt à chercher du côté d’un oligopole d’éditeurs qui tire un profit maximum du fait que laboratoires scientifiques et chercheurs sont évalués en fonction des revues ou des maisons d’édition où ils publient leurs résultats.
C’est pourquoi nous ne comprenons guère l’argument déclarant que la diffusion sur des archives publiques gérées par des organismes comme le CNRS profite à des «grandes compagnies ultralibérales comme Google» coupables de «pillage». Si les lettres et sciences humaines et sociales, et plus généralement l’ensemble de la recherche scientifique sont menacées, ce n’est pas tant par Internet, Google ou Facebook, que par le faible espace qui leur est laissé par la bureaucratie, le manque de moyens et les injonctions contradictoires des pouvoirs publics.
Nous appelons donc chacun à garder à l’esprit que c’est en encourageant la diffusion de la connaissance scientifique qu’on sert le mieux l’intérêt général. Un tel objectif ne se confond pas avec les intérêts particuliers de tel ou tel éditeur. Ne nous trompons pas de combat.
Anne Baillot, langue et littérature germanique, experte en techniques numériques pour les sciences humaines, centre Marc Bloch & Inria, Managing Editor du Journal of the Text Encoding Initiative.
Florian Barrière, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, langue et littérature latines.
Grégoire Besse, doctorant à l’université de Nantes, physique.
Catherine T. Bolly, chercheuse à l’Université de Cologne, linguistique.
Laurent Capron, ingénieur d’études au CNRS, philologie grecque et sémitique, information scientifique.
Frédéric Clavert, maître-assistant à l’université de Lausanne, histoire.
Camille Coti, maître de conférences à l’université Paris-XIII, informatique.
François-Xavier Coudert, chargé de recherche au CNRS, chimie.
Antonin Delpeuch, étudiant à l’École normale supérieure (Paris), informatique.
Jean-Pierre Demailly, professeur des universités à l’université Grenoble Alpes, mathématiques, membre de l’Académie des sciences.
Mai-Linh Doan, maître de conférences à l’université Grenoble Alpes, géophysique.
Suzanne Dumouchel, chercheuse à l’Institut historique allemand de Paris, littérature française, SIC & Humanités Numériques.
Pauline Duchêne, maîtresse de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, langue et littérature latines.
Benjamin Fagard, chargé de recherche au CNRS, linguistique, rédacteur en chef de la Revue Discours.
Virginie Gautron, maître de conférences à l’université de Nantes, droit privé.
Julie Giovacchini, ingénieure de recherche au CNRS, philologie, analyse de sources et information scientifique.
Joël Gombin, doctorant, science politique.
Sébastien Grignon, ingénieur de recherche au CNRS, histoire des religions, analyse de sources et information scientifique.
Myriam Houssay-Holzschuch, professeure des universités à l’université Grenoble Alpes, géographie.
Nathalie Jas, chargée de recherche à l’INRA, histoire et sociologie.
Sylvie Kleiman-Lafon, maître de conférences à l’université Paris-8, littérature anglaise.
Claire Lemercier, directrice de recherche au CNRS, histoire.
Frédérique Lerbet-Sereni, professeure des universités à l’université de Pau et des pays de l’Adour, sciences de l’éducation, directrice de La Recherche en Education.
Rémi Mathis, conservateur des bibliothèques, enseignant à l’École nationale des chartes et à l’École du Louvre.
David Monniaux, directeur de recherche au CNRS, informatique.
Caroline Muller, professeure agrégée à l’université de Reims Champagne Ardenne, histoire.
Hervé Pajot, professeur des universités à l’université Grenoble Alpes, mathématiques, rédacteur en chef des Annales de l’Institut Fourier.
Catherine Psilakis, professeure agrégée à l’université Lyon-I, lettres classiques.
Francisco Roa Bastos, enseignant-chercheur vacataire, docteur en science politique.
Émilien Ruiz, maître de conférences à l’université Lille-3, histoire.
Charlotte Truchet, maître de conférences à l’université de Nantes, informatique.
Romain Vanel, assistant ingénieur au CNRS, enseignant en sciences humaines à l’université Grenoble Alpes.
Le comité de rédaction de Tracés, revue de sciences humaines.
Crédit image de une : I love open access par Open Edition, en cc sur Flickr