Haro sur la « réforme du doctorat » !

Le 27 mai dernier était publié au Journal officiel le nouvel « arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat ». (lire sur Légifrance).

Une première version de l’arrêté avait fuité il y a un an et entraîné suffisamment d’inquiétudes et de protestations, plus ou moins fondées, pour que le gouvernement décide finalement d’élaborer une nouvelle version basée sur un minimum de concertation (voir, par exemple, cet entretien sur Educpros et ce billet sur Histoires d’universités).

Tout commença dans le calme…

Martin Clavey publia ainsi le 7 juin un article sur Educpros qui faisait le point sur les changements que le nouvel arrêté allait entraîner à partir de septembre 2016 :

  • durée de la thèse limitée à 6 ans ;
  • introduction de la possibilité d’ « année de césure » ;
  • renforcement du rôle des écoles doctorales ;
  • la mise en place d’un « comité de suivi individuel » et la disparition du droit de vote du directeur ou de la directrice lors de la soutenance.

Un encadré mettait par ailleurs en valeur la réaction de la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC), qui milite depuis des années pour la reconnaissance du doctorat comme expérience professionnelle et lève deux interrogations importantes :

« On a vu l’introduction d’éléments qui vont à l’encontre du doctorat comme expérience professionnelle, notamment l’année de césure ou encore le portfolio qui n’est ni plus ni moins qu’un CV dont on se demande ce que ça fait dans un arrêté. »

« Il y est annoncé sous forme de simplification la possibilité que les missions doctorales soient possibles hors du contrat doctoral (essentiellement les vacations). Ce qui dévaloriserait le contrat doctoral. À force de simplifier, on finit par tout casser. »

…puis vinrent les réactions professorales !

La première tribune, sous la plume de Jean-Noël Luc, professeur d’histoire à Paris4 et Serge Sur, professeur émérite de droit public à Paris 2, fut publiée par Le Monde.fr le 8 juin 2016 sous le titre ô combien mesuré « Réforme du doctorat : « En route vers la médiocrité généralisée ! » » (on notera que le titre est parfois imposé par les rédactions, mais ici il est totalement assumé par nos collègues puisque J.-N. Luc le reprit comme objet pour la diffusion de la tribune et de sa mise en perspective sur la liste de diffusion des contemporanéistes du supérieur (pour vous inscrire c’est ici).

Le jour même, Éric Anceau, « responsable du projet pour la France de #DLF [Debout la France] » et maître de conférences en histoire contemporaine à Paris 4, saluait la tribune et publiait un tweet tout en finesse :

EricAnceau_SovietisationUniversite

Il publia ensuite sa propre tribune, dans les colonnes du FigaroVox, sous un titre non moins alarmiste que celui de ces prédécesseurs : « Réforme du doctorat : une nouvelle étape du déclin de l’université française »

Enfin, voici que circule depuis hier sur les réseaux sociaux une tribune qui, en apparence, change d’angle d’attaque. Publiée le 18 juin sur LePlus (le « Vox » de l’Obs) par François Garçon, maître de conférences en histoire contemporaine à Paris 1, cette tribune est cette fois intitulée « Les étudiants de grandes écoles s’approprient le doctorat : une imposture bien française ».

Diable ! « médiocrité généralisée », « soviétisation », « appauvrissement », « déclin », « imposture » : voilà un arrêté qui ne semble pas sans danger ! D’autant que, sur nos quatre auteurs, on notera la présence de trois historiens qui ne sauraient être étrangers à la lecture critique et à la contextualisation des documents. À moins que…

Reprenons donc quelques-uns des arguments et confrontons-les au texte de l’arrêté et aux pratiques existantes

Un doctorat dans une pochette surprise ?

L’un des points qui semble entraîner le plus de réactions négatives concerne la validation des acquis de l’expérience, la VAE.

De quoi s’agit-il d’un point de vue général ? Pour le savoir il faut remonter quelques années en arrière. Dans la section 1 « validation des acquis de l’expérience » de son chapitre II sur le « développement de la formation professionnelle », la loi n°2002-73 de modernisation sociale (17 janvier 2002) dispose en son article 133 que :

L’article L. 900-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne engagée dans la vie active est en droit de faire valider les acquis de son expérience, notamment professionnelle, en vue de l’acquisition d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l’emploi d’une branche professionnelle, enregistrés dans le répertoire national des certifications professionnelles visé à l’article L. 335-6 du code de l’éducation. Lorsque la personne en cause est salariée, elle peut bénéficier d’un congé pour validation des acquis de l’expérience dans les conditions de durée prévues à l’article L. 931-22 et selon les modalités fixées aux articles L. 931-23, L. 931-25 et L. 931-26 ainsi qu’aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 931-24. Les conditions d’application de ces dispositions sont fixées par décret en Conseil d’État. » (lire sur Légifrance).

Or, en vertu de cette loi qui a désormais plus de 14 ans, l’obtention d’un doctorat via une VAE existe depuis longtemps !

En effet, il suffit de se rendre sur le site de quelques universités pour en prendre connaissance. Ici l’université Paris-Est détaille les 4 étapes qui composent la procédure de VAE pour l’obtention du diplôme de doctorat. Parmi elles, on découvre :

  • un « dossier de recevabilité » devant être expertisé par des collègues désignés « par le Département des études doctorales, en concertation avec la direction de ED concernée »
  • une procédure d’accompagnement par « un binôme formé de deux spécialistes : un accompagnateur proposé par la commission VAE et un encadrant, enseignant-chercheur titulaire d’une HDR »
  • une soutenance devant un jury, pendant un « entretien, d’une durée de deux à trois heures, se déroule en deux temps : un exposé du candidat et un temps d’échange avec les membres du jury. À l’issue de l’entretien, le jury délibère et se prononce sur la validation (totale, partielle ou nulle). »

Quelle horreur !? Vous voulez dire que des individus peuvent voir leur demande d’inscription en doctorat-VAE contrôlée par une école doctorale ? Accompagnée par un enseignant-chercheur et donner lieu à une évaluation par un jury de soutenance décidant la validation ou non ? Mais dans quel monde vit-on !?

Je m’égare… On notera ici plus calmement que, contrairement à ce qu’affirme l’un de nos tribuns, non, en aucun cas l’arrêté de mai 2016 n’introduit une VAE qui « pourra aussi valoir doctorat » :

« Ne sous-estimons cependant pas la caste française, jamais à court d’idées pour la défense de ses intérêts. La potion magique est sortie du cerveau de hauts fonctionnaires, tous issus d’établissements qui, du doctorat, ignorent tout.

Cette potion se nomme VAE : validation des acquis par l’expérience. Elle concernait jusqu’à présent le niveau master. Désormais, l’expérience professionnelle pourra aussi valoir doctorat. Un « comité de suivi individuel du doctorant » coachera le candidat, et le directeur de thèse n’aura plus même à siéger au jury de soutenance. » (FG)

La procédure existe de longue date, vraisemblablement depuis 2005, et se trouve être pratiquée de façon tout à fait légale par de nombreuses universités et établissements d’enseignement supérieur. Rennes 1 propose ainsi cette procédure aux candidats ayant une « expérience professionnelle en recherche d’au moins 3 ans », tout comme l’INSA de Lyon, le Cnam, l’université de Bretagne occidentale, et… attention… : Paris 4! qui propose la procédure pour « tous les diplômes délivrés par l’Université Paris-Sorbonne » (voir aussi Paris 1 et Paris 2 pour ne pas faire de jaloux).

Prenons ici encore un exemple en sciences humaines et sociales. Sur le site de l’ED-SHS, l’exemple qui est fourni aux visiteurs pour se faire une idée de ce en quoi consiste un doctorat en VAE est le suivant :

« Un  exemple  de Doctorat délivré par la voie de la VAE : Université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Doctorat en littérature française – 2008

Le candidat, titulaire d’une licence de lettres et du CAPES de lettres enseigne en collège depuis 12 ans. C’est au vu de la qualité des travaux de recherche personnels développés depuis plusieurs années sur un auteur connu du 19e siècle dans le but d’en publier la biographie que la démarche VAE a été validée. Le candidat fut accompagné par un enseignant chercheur HDR, référent disciplinaire, désigné par le directeur de l’école doctorale sur une période de 8 mois. Dès le début de la démarche, le candidat signait un contrat avec les éditions Fayard. A l’issue d’une séance de 4 heures, le jury composé de 5 membres a attribué le Doctorat en littérature française, avec la mention très honorable et félicitations du jury, en juillet 2008. »

Il faudrait probablement en savoir plus, mais il me semble que nous sommes assez loin d’une attribution aveugle et sans évaluation d’un doctorat au rabais.

Ce qui précède vaut bien entendu pour les cris d’orfraie poussés quant aux dispositions relatives à l’obtention du Master par la VAE. Parce que, oui, l’arrêté dispose, en son article 11, que l’inscription en doctorat pourra se faire via l’obtention d’un master en VAE :

Titre2article11

L’introduction d’une telle mesure est considérée comme scandaleuse par nos auteurs :

« Vous ne possédiez pas de master, gage d’une initiation à la recherche ? Peu importe. Le tampon VAE (validation des acquis de l’expérience) vous a ouvert l’inscription en doctorat par dérogation. Autre tampon – « docteur » – en fin du cursus, et l’affaire est bouclée ! Vive les réseaux, les copinages, les influences, qui couronneront votre habileté conviviale.

Voilà un texte qui s’applique à merveille à des élus, des énarques, sans parler de syndicalistes professionnels. Bienheureux hasard ! Aujourd’hui tous avocats, demain tous docteurs – ou plutôt pseudo-docteurs. Seuls les besogneux, amis de l’effort intellectuel et des vastes corpus documentaires de première main, continueront à préparer de véritables thèses.  » (J.-N.L et S.S.)

« 1) Au nom de l’économie marchande, le décret assigne moins comme objectif au doctorat la recherche et l’apport à la connaissance scientifique que la formation et la professionnalisation. En amont, il ne sera d’ailleurs plus nécessaire d’avoir obtenu un master qui attestait une compétence en matière de recherche pour pouvoir s’inscrire en thèse (article 11). Des mesures dérogatoires permettront par exemple de faire valoir les acquis de l’expérience (VAE). » (E.A.)

Je ne reviens pas sur les procédures détaillées plus haut qui valent pour tout diplôme et me contenterai ici de souligner le fait qu’une telle procédure n’a strictement rien de nouveau. En vertu de la loi de 2002 bien sûr (codifiée par l’article L. 613-5 du code de l’éducation), mais pas seulement.

En effet, il suffit de se reporter à l’arrêté antérieur à celui dont nous discutons ici pour constater qu’en son article 14, l’arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale disposait déjà exactement la même chose :

Titre2article14-2006

On peut bien sûr débattre du principe même de la possibilité d’obtenir tout ou partie d’un diplôme par une procédure de validation des acquis de l’expérience. J’y suis personnellement tout à fait favorable, mais personne n’est obligé de partager cet avis. En revanche, en faire une nouveauté est une contre-vérité, et faire comme si on trouvait là un témoignage de déclin, de médiocrité, etc. est non seulement insultant pour les collègues qui siègent dans les commissions de VAE et qui encadrent les doctorants qui suivent ce type de procédures, mais de surcroît c’est tout à fait contradictoire avec un autre argument central pour certaines de ces tribunes…

Sus aux directrices et directeurs !

En effet, nos auteurs dénoncent un « avilissement du directeur de thèse », érigé en « ennemi »… Rien de moins !

« 2) Le texte avilit aussi le directeur de thèse dont l’encadrement de ses doctorants constitue sans doute la plus belle facette de la mission. Il perd son lien privilégié avec eux et est infantilisé. Son rôle devient comparable à celui des conseillers pédagogiques du secondaire, sans que cela n’ait rien de péjoratif pour ces derniers, mais il s’agit de deux professions différentes et qui devraient le rester. Le directeur est ravalé au niveau d’un simple rouage, soumis au contrôle de son administration, de ses collègues et de ses étudiants, par le biais de l’évaluation d’un «comité de suivi du doctorant» (article 13) dont un ancien et très estimable directeur général de l’enseignement supérieur et de la recherche me disait avant-hier qu’il s’apparenterait vite aux soviets. Il s’agit ici explicitement d’éviter les «conflits, les discriminations et les harcèlements». Sans nier leur existence, ceux-ci ont toujours été ultra-minoritaires. Or, ils déterminent l’économie générale du texte. A la confiance se substitue la défiance. En outre, le directeur ne décidera plus des soutenances. Il siègera certes encore au jury, mais il devra se retirer au moment de la délibération. » (E.A.)

« Et le directeur de thèse ? Voilà l’ennemi ! Un « comité de suivi individuel du doctorant » le tiendra à l’oeil. De même ne participera-t-il plus à la délibération du jury de soutenance. Sa connaissance du sujet, du candidat, de la thèse, n’est-elle pas dangereuse pour l’évaluation ? Ne risquerait-il pas d’influencer ses collègues, incapables de se faire une opinion ? La délibération elle-même est-elle utile ? Comme on supprime les mentions pour les remplacer par un simple « admis-refusé », il suffira, là encore, d’un tampon. Et l’on voit mal comment une thèse admise à soutenance pourrait être refusée. » (J.-N.L et S.S.)

Reprenons notre souffle. Si l’on veut bien suivre E.A. sur le caractère minoritaire des discriminations et harcèlement (encore qu’à mon avis il faudrait ici succomber au « mythe du terrain » et objectiver cela par une enquête), j’aurais beaucoup de mal à le faire en ce qui concerne les conflits, et plus généralement en ce qui concerne les doctorantes et doctorants qui ne trouvent pas, auprès de leur direction de thèse, le soutien et les conseils dont ils ont besoin.

Je l’écris d’autant plus librement que j’ai, pour ma part, eu la chance d’être dirigé par un directeur de thèse formidable (j’ai soutenu depuis 2013 et ai été recruté l’an dernier, ce n’est plus du fayotage !). Or, si je ne suis bien entendu pas le seul dans ce cas, je ne saurais compter les camarades impressionnés par le fait que mon directeur accepte facilement de me rencontrer, m’appelle pour prendre des nouvelles si je ne donnais pas signe de vie pendant plusieurs semaines, réponde à mes interrogations scientifiques, me prête des livres, s’inquiète de ma situation matérielle, etc.

Parce que l’on peut lire en souriant les .gif animés de « Ciel mon doctorat ! », mais on peut aussi prendre conscience du fait qu’un grand nombre de doctorants sont laissés totalement à l’abandon par leurs directions de thèses, tandis que certains se voient même exploités sans vergogne pour l’organisation d’événements scientifiques, la direction de publication, etc. qu’au mieux ils co-signeront s’ils ont de la chance.

Il ne s’agit pas d’affirmer que la majorité des doctorants sont concernés, mais de constater que ces pratiques ne sont pas si rares et que la mise en place d’un « comité de suivi » ne saurait être si négative. Que dit l’arrêté à ce propos ? Pour le savoir, il faut se reporter encore une fois à l’article 11 (en capture supra) :

« L’inscription est renouvelée au début de chaque année universitaire par le chef d’établissement, sur proposition du directeur de l’école doctorale, après avis du directeur de thèse et, à partir de la troisième inscription, du comité de suivi individuel du doctorant. En cas de non-renouvellement envisagé, après avis du directeur de thèse, l’avis motivé est notifié au doctorant par le directeur de l’école doctorale. Un deuxième avis peut être demandé par le doctorant auprès de la commission recherche du conseil académique ou de l’instance qui en tient lieu, dans l’établissement concerné. La décision de non-renouvellement est prise par le chef d’établissement, qui notifie celle-ci au doctorant. » (lire sur Légifrance)

Où voit-on un avilissement des directeurs et directrices de thèse ici ? À partir de la troisième année, l’avis d’un « comité de suivi » composé de collègues s’ajoutera – et non remplacera – celui de la direction. À titre personnel, je ne vois vraiment pas en quoi cela devrait poser problème. En outre, ne peut-on pas considérer qu’il s’agira ici d’une occasion pour un doctorant d’obtenir un regard extérieur sur ses travaux ? d’un moyen de prendre un peu de recul et d’échanger avec d’autres enseignants-chercheurs ? En effet, tous les doctorants ne sont pas totalement intégrés aux laboratoires et aux équipes de recherche de leurs universités…

[édit. du 21 juin 2016 :  Ainsi, depuis la publication de ce billet, j’ai reçu plusieurs témoignages de collègues impliqués dans de tels comités soulignant le caractère positif de l’expérience. Ainsi, parmi les commentaires infra, vous pourrez lire celui de l’historien Michel Cadé dont voici un extrait :

« je participe à un comité de suivi de thèse dont chacun tire profit sans se sentir ni humilié, ni contrôlé abusivement, directeur de thèse et étudiant. Nos regards extérieurs, mais en rien malveillants, ont permis de faire progresser considérablement la construction de la thèse. » (lire l’intégralité du commentaire)

Hervé Joly, lui aussi historien, m’a fait parvenir ce retour d’expérience par e-mail (reproduit ici avec son autorisation):

« Je me félicite de ne pas avoir attendu cet arrêté pour expérimenter avec les doctorants que je dirige ces « soviets » que seraient les comités e thèse. Je trouve ça, au contraire, très rassurant de partager avec des collègues la responsabilité de discuter leur plan ou chapitres… Je ne me prétends pas omniscient au point de prétendre diriger une thèse dans un splendide isolement mandarinal ! Ce comité peut être conçu comme une structure souple, qui ne nécessite pas de moyens particuliers. On peut s’appuyer sur son laboratoire et sur d’autres laboratoires du site pour associer des collègues choisis en fonction de leur seules compétences, habilités ou non, qui sont ravis d’y participer, ne demandent en échange ni primes, ni décharges ou autres défraiements. Leur tâche est d’autant plus gratuite qu’ils savent qu’ils ne siégeront pas nécessairement dans le jury de soutenance, qui devra comprendre plutôt des membres extérieurs. L’obligation prévue par l’arrêté du comité de thèse restera, on le sait bien, toute relative. Les écoles doctorales n’auront pas les moyens de vérifier leur existence et leur fonctionnement effectifs. Mais c’est une bonne chose d’afficher une forte incitation à une plus grande collégialité dans nos pratiques de direction de thèse. Sinon à quoi serviraient nos laboratoires et autres maisons des sciences de l’homme ? Il est toujours trop malheureux de découvrir, après la soutenance, que la thèse d’un doctorant resté trop isolé aurait gagné à des échanges avec d’autres chercheurs auxquels il n’a pas été incité par son directeur. » /édit du 21 juin 2016]

Dans les tribunes, on notera que l’avilissement et le rejet « du directeur » passerait aussi par le fait qu’ « il ne décidera plus des soutenances » et qu’il « ne participera plus aux délibérations » du jury. Reprenons, ici encore, les textes… Voici, face face, ce que dispose l’article 17 de l’arrêté du mois de mai, comparé au contenu de l’article 18 de l’arrêté antérieur de 2006 :

AutorisationSoutenance_Comparatif2006-2016

On peu difficilement s’inquiéter ici d’une révolution en marche : un directeur ou une directrice, qui aura pris l’initiative de proposer une thèse à la soutenance – et donc jugé que, selon elle ou lui, la thèse méritait d’être soutenue – ne pourra plus donner une seconde fois son avis concernant l’autorisation d’une soutenance qu’il ou elle appelait de ses vœux au point de la soumettre à l’avis des rapporteurs… Nous voilà assez loin d’une « destruction de l’Université Française » !

On notera néanmoins que, jusqu’à présent, lorsqu’une thèse faisait l’objet d’une évaluation négative par les rapporteurs elle n’était, de toutes façons, pas soutenue en l’état…

Enfin, on rappellera que, concernant la soutenance de la thèse, le directeur ou la directrice n’ont jamais été considérés comme indispensables au jury. Eh oui, mon propre directeur lisant le Journal officiel, il m’avait fait remarquer un élément que nos auteurs ne semblent pas avoir pris en considération. Dans sa version de 2006, l’arrêté disposait en son article 19 :

« Le directeur de thèse, s’il participe au jury, ne peut être choisi ni comme rapporteur de soutenance, ni comme président du jury » (lire sur Légifrance)

Que nous dit le nouvel arrêté ?

« Les membres du jury désignent parmi eux un président et, le cas échéant, un rapporteur de soutenance. Le président doit être un professeur ou assimilé ou un enseignant de rang équivalent. Le directeur de thèse participe au jury, mais ne prend pas part à la décision » (lire sur Légifrance)

Cette transformation fait donc écrire à nos tribuns le directeur ou la directrice « sera alors évalué en même temps que son doctorant, par ses «pairs» habituels devenus en la circonstance ses juges » (E.A.).

Quel enseignant-chercheur un tant soi peu au fait des procédures formelles et, surtout, informelles autour de l’évaluation d’un doctorant ou d’un jeune docteur peut affirmer aujourd’hui que, dans une thèse, le travail de la direction n’est pas déjà évalué ? Combien de doctorants ou jeunes docteurs se sont vu couvrir d’éloges ou de récriminations sur le ton de « il/elle fait sa thèse avec… alors forcément… » (sans compter la question des recrutements, des attributions de prix, de bourses, etc.) Quel enseignant chercheur n’a pas déjà entendu ou dit lui-même « cette thèse n’est pas bonne, elle a été mal (ou, elle na pas été) dirigée » ?

« Sa connaissance du sujet, du candidat, de la thèse, n’est-elle pas dangereuse pour l’évaluation ? Ne risquerait-il pas d’influencer ses collègues, incapables de se faire une opinion ? » s’interrogent J.-N.L et S.S. Sauf que strictement rien n’empêchera un directeur ou une directrice de dire tout le bien (ou le mal… ça s’est vu !) qu’il ou elle pense du travail accompli par le ou la candidate au cours de la soutenance, comme c’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui.

Tintin au pays des soviets (et le retour de la pochette surprise)

Tout ceci relèverait donc d’une effroyable tentative de « soviétisation », comme en témoignerait d’ailleurs le couteux renforcement du rôle des écoles doctorales et la mise en place d’un « portfolio ».

« Enfin, la réforme coûtera cher aux universités. On voit ici à l’œuvre les méfaits d’une technocratie qui raisonne à partir de modèles, sans connaissance réelle du milieu qu’elle doit administrer ou réformer. Livrées à elles-mêmes par les deux lois d’ «autonomie» du supérieur (loi Pécresse sous l’ancienne majorité, loi Fioraso sous la nouvelle), les universités devront doter leurs écoles doctorales des moyens nécessaires pour organiser les formations requises, les stages professionnels, le suivi de carrière post-doctoral et ce avec des moyens qu’elles n’ont pas. » (E.A.).

« Il vous suffira bientôt, à côté d’un mémoire hâtif, d’un « portfolio » exaltant vos « activités », comme la validation de « modules professionnalisants », dont le terme, mais pas l’idée, a été retiré de l’arrêté. » (J.-N.L et S.S.)

Qu’en est-il exactement ? C’est à l’article 15 de l’arrêté qu’il faut cette fois se reporter :

Titre2article15-2016

Ce que signifie cet article, c’est que les écoles doctorales sont désormais tenues de former leurs doctorants ! Diable, voici encore une révolution. Que disait l’arrêté de 2006 à ce propos déjà ?

Titre1article4-2006

Donc, si je résume : l’arrêté impose des activités aux écoles doctorales alors qu’elles n’ont pas les moyens de les assurer. Or, elles sont tenues de les assurer depuis au moins 10 ans ! Cela n’a, ici encore, rien de nouveau… Ce qui le serait, c’est effectivement que des moyens soient alloués aux universités pour que les ED puissent vraiment assurer cette mission.

Reste le « portfolio ».

Sans aller jusqu’à la désinformation consistant à affirmer qu’il remplacera le doctorat (il suffit pour cela de lire l’article), on peut effectivement s’interroger avec la CJC : puisqu’il ne s’agit « ni plus ni moins qu’un CV » on peu se demander « ce que ça fait dans un arrêté » (Educpros). Mon interprétation – peut-être erronée – est la suivante : il y a bien longtemps qu’un doctorat ne se résume plus à une thèse. Vous en voulez une preuve ? Tentez de vous faire recruter dans l’enseignement supérieur, la recherche ou dans le secteur privé l’année qui suivra votre thèse. Vous pourrez constater que, quel que soit le secteur, la thèse, même excellente, est une condition nécessaire et non suffisante. Ici on vous demandera combien d’années vous avez enseigné dans le supérieur, là combien d’articles dans des revues de référence de la discipline vous avez publié, ailleurs si vous vous êtes investis dans des projets collectifs, organisations de colloques, dans la médiation, etc.

Peut-être que ce portfolio, permettra enfin de faire prendre conscience aux candidats comme à leurs encadrants que le doctorat n’est pas seulement une thèse mais bien plus.

Ici intervient la question de la durée des thèses bien sûr, pas du tout soulevée par nos auteurs, notamment en SHS et tout particulièrement en histoire… Quant on lit sous la plume d’EA que « seuls les plus fortunés, les retraités et les bénédictins réaliseront encore des thèses comme elles existent aujourd’hui », on se dit que l’argument va malheureusement se perdre dans l’outrance du reste du propos. Parce qu’ici, le futur n’est hélas pas vraiment de mise… Faire une thèse en bénéficiant d’une allocation-monitorat, d’un poste d’ATER, de vacations, le tout mâtiné de périodes plus ou moins longues de chômage : c’est aujourd’hui être un privilégié ! Et je l’écris sans aigreur puisque cela a été mon parcours ! Sauf qu’à défaut d’agreg’, il est de plus en plus minoritaire (des universités, non contentes de considérer illégalement que l’agrégation est un critère de sélection de leurs MCF, réservent parfois – a minima en décourageant les candidats – les allocations doctorales (aujourd’hui « contrats doctoraux ») aux seuls agrégés…). Ainsi, autour de moi, des doctorantes et doctorants ont réalisé ou réalisent des thèses en travaillant à temps plus ou moins partiel dans le privé, en faisant la chasse aux bourses et prix – qui aident bien, rassurent quant à la qualité du travail en cours, mais ne donnent aucune couverture sociale… – pistant les contrats courts et les vacations (en croisant les doigts pour qu’elles soient payées, dans les temps, ou payées « tout court »). Autant de situations difficiles dont l’arrêté du 25 mai n’est pas responsable – et qu’il ne règlera pas – dont il n’est question dans aucune des tribunes citées jusqu’ici.

Sans félicitations, point de salut !

Plutôt que de développer ces questions bassement matérielles, si EA parle de ces difficultés financières, c’est – dans un rapport de cause à effet qui m’échappe – après avoir souligné que :

« l’arrêté supprime les mentions, sans doute trop stigmatisantes (article 19). L’égalitarisme confine ici à la médiocrité et ouvre la voie à tous les abus. » (E.A.).

En effet, dans l’article 20 de l’arrêté de 2006, figurait la mention suivante :

« L’admission ou l’ajournement est prononcé après délibération du jury. Le président signe le rapport de soutenance qui est contresigné par l’ensemble des membres du jury. Ce rapport peut indiquer l’une des mentions suivantes : honorable, très honorable, très honorable avec félicitations. La plus haute mention, qui est réservée à des candidats aux qualités exceptionnelles démontrées par les travaux et la soutenance, ne peut être décernée qu’après un vote à bulletin secret et unanime des membres du jury. Dans ce cas, le président du jury établit un rapport complémentaire justifiant cette distinction. Le rapport de soutenance précise, le cas échéant, que l’établissement ne délivre pas de mention. Le rapport de soutenance est communiqué au candidat. » (Lire sur Légifrance)

La formule est désormais remplacée par la suivante, dans l’article 19 de l’arrêté de 2016 :

« L’admission ou l’ajournement est prononcé après délibération du jury. Le président signe le rapport de soutenance, qui est contresigné par l’ensemble des membres du jury présents à la soutenance. Le rapport de soutenance est communiqué au doctorant dans le mois suivant la soutenance. »

Les mentions ne figurent donc plus dans l’arrêté. Or, est-ce vraiment une catastrophe ? C’est bien entendu très gratifiant d’obtenir les félicitations. Mais surtout, au-delà du bienfait pour l’égo, à quoi servent les félicitations ? En effet, les anecdotes diverses et variées que nous entendons toutes et tous sur des félicitations non méritées, ou pas obtenues alors que méritées, conduisent l’essentiel des comités de recrutement, d’attribution de prix, etc. à ne pas y accorder une attention démesurée. Ce qui compte, on le sait bien, c’est le rapport du jury ! Celui qui mentionnera, par exemple, qu’une thèse préparée à l’ENS Cachan n’aura pas de félicitations car l’établissement a décidé, depuis des années, de ne plus attribuer cette mention (voir sur le site de l’ENS).

Je méprise, tu méprises… ils méprisent… ne nous méprenons pas !

L’arrêté serait, enfin, le témoignage d’un véritable mépris pour les enseignants-chercheurs. Pour J.-N.L et S.S. :

« Le mépris des universitaires qui inspire ce texte est saisissant, tout comme la jalousie à l’égard du titre de docteur, le dernier digne de ce nom qu’attribuent les universités. »

Pourtant, c’est à la lecture de ces différentes tribunes qu’à titre personnel je pense avoir le plus rencontré de mépris pour les universitaires : pour celles et ceux qui siègent au sein des instances chargées du suivi des doctorants, qu’il s’agisse des écoles doctorales, des futurs « comités de suivi », des collègues chargés d’examiner les demandes de VAE, de rapporter sur une thèse, etc. Pour les collègues amenés à éventuellement diriger des thèses sans avoir d’HDR aussi.  [édit. du 22 juin 2016 : Ainsi, F.G. va jusqu’à écrire :

« Soyons certains qu’ils seront nombreux, les universitaires français à ne pas cracher sur les carottes associées à la fabrication de cette fausse monnaie. Qu’importe le déshonneur, pourvu que tombe une prime d’encadrement ! »

Or, comme me le rappelait André Gunthert dans un échange qui a suivi la publication du billet (et qu’il m’autorise à évoquer ici) bon nombre d’enseignants-chercheurs ont été amenés à diriger des thèses sans HDR parce que la nouveauté de certaines spécialités l’exigeait. Or, s’ils ne bénéficient certainement pas de l’audience de chercheurs qui n’hésitent pas à « diriger » des centaines de thèses (si si !) la plupart d’entre eux met un point d’honneur et à suivre et à aider un petit nombre de doctorants, et cela, non pas dans un but institutionnel, pas parce que la fonction est rémunératrice, mais pour rendre service à celles et ceux qui les sollicitent, parce qu’ils croient en leur mission, non seulement de chercheur, mais aussi d’enseignant. /édit du 22 juin 2016]

À ce titre, il faut, encore une fois rappeler que la nouveauté de cette mesure est toute relative. En effet, déjà dans l’arrêté de 2006, l’article 17 disposait qu’une thèse pouvait être dirigée par un docteur sans HDR :

Titre2article17-2006

L’article 16 de l’arrêté de 2016 utilise exactement la même formulation !

Titre2article16-2016

Beaucoup de bruit pour rien ?

Peut-être pas… comme me le faisaient remarquer quelques collègues sur Twitter, ces tribunes et les échanges auxquelles elles donnent lieu « révèlent des choses ». Elles permettent déjà à certains – à condition de ne pas se contenter de lire les tribunes – de découvrir que le doctorat en VAE existe depuis longtemps

En outre, la question des moyens dont disposent les écoles doctorales pour assurer leurs missions est cruciale, comme celle du statut du doctorat dans un parcours professionnel, de l’insertion des docteurs, des moyens dont ils bénéficient pour réaliser leurs recherches et autres activités d’enseignement et de médiation…  La durée des thèses pour les doctorants salariés, à temps plein dans l’enseignement secondaire, ou exerçant dans le privé… La question des relations entre monde universitaire et grandes écoles est elle aussi cruciale, en particulier en ce qui concerne le différentiel de moyens accordés selon les types d’établissements…

On pourrait ajouter la précarisation, les coupes budgétaires – annulées pour « LA Recherche » mais maintenues dans les universités, l’immense problème du plagiat – etc. etc. Non, décidément, la situation actuelle des universités méritait mieux que ces tribunes… et, vous me direz, certainement mieux que cette réponse. J’espère qu’au moins elle aura permis à celles et ceux qui auront eu la patience d’arriver jusqu’ici d’y voir un peu plus clair.

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Crédit image de une : Pierre Metivier « La Sorbonne » -Visite privée de la Sorbonne, le 12 Juin 2013 | en cc sur Flickr

26 réponses sur “Haro sur la « réforme du doctorat » !”

  1. Bravo pour cet article très bien argumenté.
    Pour avoir participé, dans une vie antérieure, à l’évaluation des écoles doctorales, je peux dire que toutes les exigences de l’arrêté de 2006, lorsqu’elles ont été mises en place, ont conduit systématiquement à une élévation du niveau d’exigence et de qualité scientifique pour les thèses. Cette exigence concernait le doctorant et sa possibilité de se confronter à un regard extérieur lors de sa préparation de thèse, mais aussi le directeur de thèse. L’encadrement de thèse est un vrai travail et ne peut être fait correctement que si le nombre d’étudiant encadré est limité, disponibilité oblige ! Le doctorat est une expérience professionnelle de recherche dans tous ses aspects, c’est à dire aussi dans l’échange avec des membres d’une même équipe de recherche et une confrontation avec les recherches des autres, en acceptant à tout moment le regard des autres sur son travail.

  2. Vous avez raison de souligner que la VAE existe depuis longtemps pour le Doctorat. On appelle cela la « thèse sur travaux ». Ce que vous occultez, du moins j’en ai eu l’impression à lire votre article, c’est que les thèses sur travaux concernent de réels travaux de recherche (comme ceux de Louis Althusser, qui s’est vu décerner son Doctorat de la sorte), alors que la philosophie de cette réforme est de permettre à des gens qui ne sont pas des chercheurs (les ingénieurs, dont la formation est à l’opposé de ce que constitue la recherche) d’accéder à un titre qui leur permettra de s’ouvrir des marchés de l’emploi auxquels ils n’avaient pas accès. Alors même que ces personnes sont déjà les plus favorisées parmi les favorisés pour ce qui est d’accéder à l’emploi en France. Tout cela au détriment de gens, les chercheurs formés à la recherche au sein des Université, dont les compétences ne sont pas reconnues à leur juste valeur sur le marché de l’emploi français.
    C’est cette injustice que les tribunes que vous critiquez dénoncent, parfois maladroitement et parfois en avançant des arguments qui passent à côté. Alors que l’esprit de ces tribunes est de désigner la lune, vous préférez regarder le doigt. En cela, vous êtes de mauvaise foi, même si vos critiques ne sont pas toutes infondées.

    1. Merci pour votre commentaire. En fait, je ne mentionne pas la « thèse sur travaux », non pour l’occulter mais parce qu’il s’agit d’une procédure tout à fait différente de la VAE. Je ne pense pas être de mauvaise foi en signalant que la réforme n’introduit en rien la VAE. C’est tout le problème : on peut contester la procédure telle qu’elle existe, mais affirmer que c’est une nouveauté est faux. Des thèses en VAE ont été soutenues depuis des années et la question de savoir si elles sont bonnes ou pas a été confiée à des enseignants-chercheurs. En outre, si vous vous reportez aux sites des universités qui détaillent la procédure, vous verrez qu’une des conditions est d’avoir « 3 années d’expérience de la recherche » et non « un diplôme d’ingénieur » ou « d’école de commerce ». Après, on peut tout à fait considérer que le principe même de la VAE est problématique, ce n’est pas mon cas… Reste une précision de taille : je ne nie a aucun moment le fait qu’il puisse y avoir une tentative de récupération par les grandes écoles pour que des candidats obtiennent des doctorats qu’ils n’auraient jamais eu autrement. Peut-être même y arriveront-elles : mais c’est à condition que les enseignants-chercheurs qui siègent (depuis au moins 10 ans sans que les quelques dizaines de soutenances en VAE n’aient soulevé les foules) dans les commissions chargées d’évaluer la recevabilité des demandes, abdiquent…

      1. D’ailleurs, la thèse sur travaux, comment ça marche, vous savez? (moi non)
        Ca existe encore où c’est un truc tombé en désuétude? Quelle est la différence avec la VAE (intuitivement je dirais que la thèse sur travaux n’implique pas nécessairement de manuscrit ni d’expérience professionnelle?)

      2. Merci d’avoir pris le temps de me répondre, je comprends mieux votre point de vue sur la VAE. Effectivement, ce n’est pas une nouveauté, ce que vous avez raison de signaler. Je n’ai pas non plus de problème avec le principe de la VAE, puisque mon propos initial était d’assimiler la thèse sur travaux à une procédure de VAE. Mais effectivement, la procédure n’est pas la même et les garanties qui l’entourent ne sont pas insuffisantes si elles fonctionnent correctement.
        Ce que je crains en fait, c’est que sous couvert de VAE, l’on en finisse à faire passer des travaux qui ne sont pas de la recherche pour de la recherche, dans le but d’octroyer le titre de docteur. Mais vous avez raison de souligner que cela suppose que les enseignants-chercheurs qui siègent dans les commissions n’abdiquent leur responsabilité (encore faut-il que le choix d’abdiquer ou non leur responsabilité leur soit proposé… et si cette proposition venait des corporations que constituent l’X, l’ENA, etc. il y a de quoi se faire du soucis je pense).

        1. Merci de poursuivre l’échange ! Cette crainte n’est peut-être pas totalement infondée, et il faut bien sûr rester vigilant. Mais rien, en l’état (ou alors j’ai manqué quelque chose, ce qui est tout à fait possible) n’indique que l’arrêté du 25 mai pourrait avoir ces conséquences. C’est tout le problème des tribunes en question…

  3. Merci de toutes ces précisions, j’ai moi-même rédigé un article sur le sujet pour m’interroger de cette réforme, j’aurais aimé avoir autant de recul que vous ! Très intéressant !

  4. J’ai lu attentivement votre article mais je ne suis pas d’accord du tout avec votre analyse.

    D’une part, même si il est possible qu’il y ait déjà une procédure de VAE pour le diplôme de doctorat, argument en faveur de cette loi qui ne changerait pas grand chose à l’existant, il y a un élément essentiel qui change la donne : le doctorat était il y a peu le pré carré des universitaires, alors qu’aujourd’hui, ce n’est plus le cas de nombreux établissements se sont approprié ce diplôme. Et vous me direz que les écoles doctorales des COMUE seront là pour contrôler la bonne marche des choses… J’en doute, et je vous invite à faire un petit tour dans les écoles doctorales des COMUE pour observer que ça ne sera pas le cas.

    D’autre part, si une soutenance sur article suffit, associée à une éventuelle expérience professionnelle, pourquoi dépenser de l’argent de l’Etat à former des jeunes chercheurs pendant 3 ans, puisque ils sont visiblement capables de publier des travaux, en dehors de toute structure de recherche. L’implication est aussi la suivante, pourquoi faire une thèse sur 3 ans si je suis ingénieur ou commercial, là ou un ou deux articles de recherche suffiront pour obtenir ce diplôme.

    Vous ironisez, en donnant un exemple :

    ************************************************
    Prenons ici encore un exemple en sciences humaines et sociales. Sur le site de l’ED-SHS, l’exemple qui est fourni aux visiteurs pour se faire une idée de ce en quoi consiste un doctorat en VAE est le suivant :

    « Un exemple de Doctorat délivré par la voie de la VAE : Université Sorbonne Nouvelle Paris 3. Doctorat en littérature française – 2008
    Le candidat, titulaire d’une licence de lettres et du CAPES de lettres enseigne en collège depuis 12 ans. C’est au vu de la qualité des travaux de recherche personnels développés depuis plusieurs années sur un auteur connu du 19e siècle dans le but d’en publier la biographie que la démarche VAE a été validée. Le candidat fut accompagné par un enseignant chercheur HDR, référent disciplinaire, désigné par le directeur de l’école doctorale sur une période de 8 mois. Dès le début de la démarche, le candidat signait un contrat avec les éditions Fayard. A l’issue d’une séance de 4 heures, le jury composé de 5 membres a attribué le Doctorat en littérature française, avec la mention très honorable et félicitations du jury, en juillet 2008. »

    Quoi quoi quoi ? Quelle horreur, quel déclin, quelle médiocrité ! (pardon, je m’égare à nouveau…)
    *************************************************

    En gros la vision du doctorat, en tout cas de celui visiblement de votre domaine de recherche, est que, avoir une licence, et un éditeur avec un livre en cours de préparation suffit à obtenir un doctorat.

    Le doctorat est pour moi une formation par la recherche, une méthodologie durement forgée pour produire de la connaissance, et n’a jamais été et ne sera jamais un acquis… Le doctorat suppose une confrontation régulière avec ses pairs, dans les conférences, dans les équipes de recherche, dans les laboratoires, loin d’une vision individualiste qui est probablement une déformation professionnelle provenant du domaine de recherche dans lequel vous avez évolué.

    1. Merci pour votre commentaire. En reprenant vos remarques dans l’ordre :

      – La VAE : je ne comprends pas bien ce que vous me reprochez ici. Dans le billet, je rappelle 1) la VAE évoquée dans l’arrêté ne concerne pas le doctorat mais le Master pour avoir le droit de s’inscrire en doctorat, et 2) que, quoiqu’il en soit, le doctorat en VAE existe depuis des années. Comme je le note dans le billet : on peut tout à fait être contre cette procédure, c’est affirmer qu’elle nait dans le décret qui est faut. Mais votre remarque semble porter sur tout autre chose, vous parlez en effet du fait que « de nombreux établissements se sont approprié ce diplôme ». Je ne comprends pas ce que vous voulez dire… Des doctorats pourraient être attribués par autre chose que des écoles doctorales ? sans contrôle d’enseignants-chercheurs, etc ? À moins que vous ne parliez des « executive doctorate » ou « doctorate in business administration » qui ne sont pas de véritables doctorats (en tous cas ne sont pas reconnus comme tel il me semble). Quoiqu’il en soit je veux bien débattre autour de ces diplômes mais ce n’est ni l’objet de l’arrêté, ni l’objet du billet…

      – une « soutenance sur article ». Là il y a vraiment un malentendu. En aucun cas un doctorat en VAE (je le répète, ce n’est ici encore pas l’objet de l’arrêté) ne correspond à une « soutenance sur article ». Je vous renvoie aux liens dans le billet mais, pour résumer, une telle procédure sanctionne une véritable expérience de recherche. En l’occurrence, cela concerne un très faible nombre de personnes chaque année. Je vous renvoie, pour plus d’informations, au billet de Mix à ce propos « Doctorat en VAE, le bullshit est de sortie. Comme il le note :

      « la démarche à accomplir soit tout sauf une sinécure, comprenant la rédaction d’un manuscrit, une soutenance devant un jury d’enseignants-chercheurs, d’avoir à justifier au cours de sa carrière en entreprise d’un travail de recherche ayant donné lieu à publications, brevets etc.« 

      – Pour la suite de votre propos… Que dire… la vision du doctorat de mon domaine de recherche, qui se trouve être l’histoire et non la littérature française, est très éloignée de ce que vous essayez de me faire dire ici. Je vous invite à revoir le passage où j’évoque mon expérience et ce que je pense de la recherche. Je veux bien que vous m’indiquiez le passage ou je dis que le doctorat serait « un acquis » de façon à ce que je le modifie pour éviter un tel quiproquo… Pour ce qui est de considérer que « Le doctorat suppose une confrontation régulière avec ses pairs, dans les conférences, dans les équipes de recherche, dans les laboratoires« , je suis ravi de constater que nous sommes d’accord sur ce point. Je ne dis à aucun moment le contraire. Je vous renvoie notamment au passage où je note (à propos des comités de suivi) :

      « En outre, ne peut-on pas considérer qu’il s’agira ici d’une occasion pour un doctorant d’obtenir un regard extérieur sur ses travaux ? d’un moyen de prendre un peu de recul et d’échanger avec d’autres enseignants-chercheurs ? En effet, tous les doctorants ne sont pas totalement intégrés aux laboratoires et aux équipes de recherche de leurs universités…« 

      Je veux bien croire que je suis naïf de croire que les comités de suivi pourraient être de telles instance, mais de là à me faire dire que je vois la recherche comme une démarche purement individualiste, il y a un pas que l’on ne peut franchir que sans avoir vraiment lu le billet.

      Enfin, concernant cette « vision individualiste qui est probablement une déformation professionnelle provenant du domaine de recherche dans lequel vous avez évolué« , voilà qui tombe mal car tout dans mes pratiques me semble témoigner du contraire. J’envisage l’enseignement et la recherche comme des activités collectives, plaidant partout ou c’est possible pour le collaboratif et le partage, le libre accès, etc. Vous me direz, nous ne nous connaissons pas, mais il se trouve que vous vous trouvez ici sur une page où figurent, certes pas tout à fait à jour, un certain nombre d’informations professionnelles qui suffisent à infirmer ce dernier passage de votre commentaire. Je vous renvoie, si cela vous intéresse, aux flux RSS plus haut sur la droite, vers deux des projets collectifs auxquels je tiens le plus, « Devenir historien-ne » et « La boîte à outils des historiens« . Vous pouvez aussi suivre le lien vers le billet qui précède celui sous lequel nous échangeons, tout en bas de la page « Pour un accès ouvert aux publications scientifiques ! ». Avec ces quelques aperçus, vous pourrez constater à quel point j’envisage l’enseignement et la recherche comme des démarches individualistes.

      1. La thèse sur articles, c’est encore autre chose… dans mon domaine (science des matériaux), un manuscrit sous forme d’articles déjà publiés ou en cours de publication, cela se fait de plus en plus (ce n’est certes pas toujours apprécié par les collègues « âgés », ni par les écoles doctorales, mais quasiment toujours possible si on insiste. Et c’est d’ailleurs assez standard chez les anglo-saxons). Encore une fois, ça ne préjuge pas de la qualité de la thèse, et si beaucoup de choses sont déjà écrites ça permet d’éviter d’avoir à les réécrire sous une forme différente, et de faire d’autres choses plus intéressantes.

  5. Cher Collègue,
    Belle analyse, pertinente. Pour ma part, professeur émérite, je participe à un comité de suivi de thèse dont chacun tire profit sans se sentir ni humilié, ni contrôlé abusivement, directeur de thèse et étudiant. Nos regards extérieurs, mais en rien malveillants, ont permis de faire progresser considérablement la construction de la thèse. L’ambiance du comité est aussi joyeuse et décontractée que sérieuse. Il est vrai que dans ce cas le directeur est extrêmement attentif à la progression de l’étudiant. Je conçois par contre que dans le cas d’un directeur un peu absentéiste ou /et surchargé de directions de thèses, le comité de suivi puisse apparaître comme une « brimade » mais que diable allait-il faire dans cette galère…
    Cordialement
    Michel Cadé

  6. l’analyse semble assez juste, merci
    effectivement le comité de thèse est une très bonne chose, je le dis pour y avoir participé, en France et ailleurs, en philosophie et en biologie, comme directeur de thèse et comme membre de comité
    de même, en UK le directeur de thèse ne siège pas dans le jury, du moins en philosophie, et les chercheurs trouvent assez absurde le système français, en particulier lorsque le directeur se réveille à la soutenance pour critiquer un étudiant alors qu’il avait 5,25 ans pour le faire…
    ceci dit, Garçon n’a pas tort. Non seulement il y a un problème avec le fait que les grandes écoles ont là une occasion en or pour décerner ce PhD qui est la seule chose qu’ils ne peuvent pas faire, mais en plus, il faut mettre cela dans le contexte de l’immense différence de financement/moyens/prestige entre Université et Grandes écoles, cette aberration semidélirante du système français. Dans ce contexte, oui, on a un risque dont la probabilité objective est très, très élevée. Les chiffres sont éloquents puisque l’étudiant d’université coûte moins que le lycéen, je crois, et l’étudiant de GE beaucoup plus
    et ainsi de suite, alors même que la recherche est menée en universités quasi exclusivement – d’où ce nauséabond paradoxe consistant à s’enorgueiilir de nos récurrents prix Nobel/Fields, Tirole ou Villani, tout en coupant les vivres aux tâcherons de la recherche dont on suppose que de toutes façons trois tasses de nespresso dans un environnement insalubre devraient suffire à l’exercice de leurs trois neurones (Sarkozy dans le genre avait la manière, mais les suivants sont un peu des clones)

    Ayant fait une classe préparatoire il y a très longtemps je me souviens encore du mépris absolu dans lequel enseignants et élèves tenaient l’université, ce qui à la fois était très idiot, et un reflet exact des investissements objectifs de l’Etat dans ces deux filières… Certes ces fabriques de singes savants produiront les meilleurs valets du grand capital, comme eût dit Philippe Poutou, mais tout de même, cette inégalité et cette fatuité, dans un pays qui n’a que le mot d’égalité à la bouche, on peut en rire un peu..

    donc dans ce contexte, oui, on peut interpréter ces réformes comme un pas de plus des GE pour s’approprier tout le gâteau, et laisser à l’université la sympathique tâche de gestion de la misère sociale, qu’elle accomplit déjà, en particulier grâce à ces doctorants enseignants qui effectuent la plupart des tâches pour un salaire (quand il y en a un) à faire sourire un syndicaliste pakistanais…

    merci encore pour le rapport objectif et la discussion suscitée

  7. Si j’ai bien compris le premier argument est de dire que vos contradicteurs se trompent parce que la mesure est ancienne.

    Ouais enfin… pour un titre de Docteur qui valide de longues études depuis sept siècles (!), vous avouerez que « 2005 », c’est pas hyper vieux non plus.

    Que leurs tribunes soient polémiques, c’est évident. Mais au-delà de la désormais classique et triste technique argumentaire « fact-checking », je ne vous trouve pas non plus de bonne fois.

    C’est mon sentiment, en tout cas, en vous lisant.

  8. Merci de combattre ainsi la désinformation. On a du mal à croire que les deux mandarins que tu cites ont lu l’arrêté avant d’écrire. Soit ils ont oublié la première leçon d’un doctorant : se documenter et contrôler ses sources ; soit ils avaient d’autres chats à fouetter. 🙂

    Mon institut de recherche (Inria) et mon école doctorale (EDITE) ont institué depuis longtemps le comité de suivi doctoral. Celui-ci rencontre le doctorant et le directeur de thèse dès le 18ème mois. C’est excellent d’avoir un regard extérieur sur l’avancement du travail, et qu’on cherche à détecter et résoudre les problèmes (et il y en a !) le plus tôt possible.

    Une autre avancée à souligner dans l’arrêté : la possibilité de césure. Dans les autres pays on pratique depuis longtemps le “stage doctorant” (internship), où ils passent 3 à 6 mois dans un autre labo (souvent industriel) sur un sujet complémentaire à celui de leur thèse. Excellent pour la motivation, pour le CV, pour le carnet d’adresses, pour s’ouvrir l’esprit. Enfin, les doctorants français pourront le pratiquer aussi.

  9. J’avoue que, pour ma part, c’est la VAE que je ne digère pas. Il est tout à fait exact qu’elle n’est pas nouvelle, mais puisqu’elle est sous les feux des projecteurs, autant dire ce que l’on en pense.
    Dans ma branche, qui est le droit public, on valorise encore la « thèse », monographie au long cours sur un sujet identifié. On peut trouver ça surrané ou dépassé dans d’autres disciplines, mais cela reste une référence dans la mienne, et je ne vois pas bien pourquoi une discipline devrait se voir imposer les standards des autres.
    Or, et toujours pour me contenter de parler de ce que je connais, il y a bien des risques de dérive dans ma discipline. Soit un enarque, membre du Conseil d’Etat, qui se voit proposer un poste dans une organisation internationale. Il faut savoir que les professeurs d’université, probablement incompétents, n’obtiennent jamais de tels postes, notamment dans les juridictions européennes ou internationales, réservés à des hauts fonctionnaires ou à des magistrats de cours suprêmes (les membres du Conseil d’Etat étant les deux à la fois). Soit, donc, notre énarque. Admettons que, se frottant à des homologues étrangers (allemands par exemple, car en Allemagne le doctorat de droit est presque un prérequis pour toute carrière publique), il lui vient l’envie de devenir docteur. Or, il se trouve que, au Conseil d’Etat, il a occupé la fonction de rapporteur public. Par une incongruité juridique qui ne lasse pas de m’étonner, les rapporteurs publics peuvent publier dans des revues juridiques les opinions qu’ils rendent publiquement dans le cadre de leur fonction juridictionnelle (on appelle ces opinions des « conclusions »). Il peut donc alors valoriser tous ces écrits dans le cadre d’un dossier de VAE. Il se trouvera bien quelques bonnes âmes universitaires pour lui rendre ce service, il est toujours bon d’avoir un énarque haut placé parmi ses obligés. Quelques mois (non quelques années) et une soutenance de VAE (non de thèse) plus tard, le voilà docteur. Est-il juste que des écrits produits dans le cadre professionnel, liés qui plus est à la fonction juridictionnelle (un peu comme si un juge publiait une décision de justice qu’il a rendue comme un article scientifique) puissent ainsi faire accéder au grade de docteur, au même titre qu’un doctorant ayant consacré plusieurs années de sa vie à la recherche ?
    C’est un cas très spécifique à ma branche. Cela peut ne pas choquer. Cela peut ne jamais arriver. Pour ma part, la perspective que cela puisse arriver suffit à ma choquer. Tant pis si c’est rétrograde.

    1. Merci pour votre commentaire. Votre position ne me semble absolument pas rétrograde. Mais, encore une fois, je ne vois pas comment une telle situation pourrait se présenter puisque les procédures nécessaires à l’obtention d’un doctorat en VAE ne se limitent aucunement à la publications d’articles dans des revues scientifiques. Bien sûr, le type de connivence que vous évoquez, trouver quelques enseignants-chercheurs prêts à de telles compromissions, n’est pas impossible. Quelques cas très médiatiques de thèses dont tout le monde se demande comment elles ont pu être soutenues sont suffisamment connus pour que je n’ai pas à les citer… et pour que je puisse simplement rappeler qu’elles n’étaient pas des thèses en VAE ! Surtout, encore une fois, si un tel cas de figure se présentait, cela ne serait pas la conséquence de la procédure de VAE, mais de son non respect.

      1. @ Socrate
        Je confirme que le cas que vous évoquez n’est pas du tout virtuel. Très précisément, des grand corps et l’Ena sont intervenus auprès du ministère pour que le nouvel arrêté crée des facilités juridiques permettant ce genre de parcours.
        En sciences dures une thèse sur travaux constituée d’articles scientifiques dans des revues à comité de lecture ne pose pas de problème. En droit, économie, gestion, on risque de voir des membres du Conseil d’Etat, de l’inspection des finances, de la Cours des comptes faire passer pour de la recherche des rapports administratifs ou financiers.
        @ Emilien Ruiz
        Je vous félicite pour ce post très détaillé et argumenté. Mais si vous avez raison sur chaque détail, vous sous-estimez, selon moi l’habileté juridique de ceux qui ont rédigé ce texte sous l’influence de l lobbys qui avancent masqués. Plus c’est compliqué moins c’est visible. Il suffit que les initiés sachent par quelles voies il faut passer pour obtenir un doctorat sans avoir fait de thèse.

        1. Merci pour votre commentaire. Je crains surtout, car vous n’êtes pas le seul à me le faire remarquer, ici ou via des échanges hors ligne, que mon billet porte à confusion sur ce point. Ce que j’ai tenté d’expliquer ici, c’est qu’en réalité ce que dénoncent les tribunes n’est pas contenu dans l’arrêté. Une fois que l’on a dit ça, bien entendu, comme j’ai tenté de le préciser dans la toute dernière partie du billet, cela ne veut pas dire que tout va bien dans les universités… et, peut-être aurais-je dû l’écrire explicitement, cela ne veut pas dire non plus qu’il n’existe aucun risque. Simplement il ne me semble pas être contenu dans l’arrêté, et il me semble beaucoup moins relever de questions de procédure que du comportement de la profession.
          Plusieurs cas de doctorats obtenus de façon manifestement irrégulière m’ont ainsi été rapportés depuis la publication du billet, et au moins un par la VAE. Et je ne doute bien sûr pas un instant que les anciens élèves de certaines grandes institutions voient dans le doctorat en VAE – qui n’a rien à voir avec l’arrêté du 25 mai – une occasion d’obtenir un doctorat, disons un peu vite, sans travailler pour cela. Mais, compte tenu des procédures existantes, la seule façon d’obtenir ainsi un doctorat, c’est de trouver des enseignants-chercheurs complaisants. Et c’est la toute la question. De tels enseignants-chercheurs existent depuis longtemps, et lorsque cela devient manifeste, cela n’entraîne strictement aucune conséquence. Que l’on pense à quelques affaires célèbres (les cas Maffesoli-Tessier ou encore celui des frères Bogdanov), ou aux thèses reposant pour certaines à 100% sur du plagiat, sans que les auteurs n’éprouvent véritablement de difficultés à intégrer les universités… (voir les sites de Jean-Noël Darde et Michèle Bergadàa) : ce type de dérives n’est en rien lié à la VAE, ou à la façon dont les thèses en formations initiales sont menées. Ces dérives sont liées à la malhonnêteté, intellectuelle a minima, des collègues impliqués…

  10. Bonjour.
    Je dirige actuellement une école doctorale (en sciences, biologie-environnement).
    Félicitation pour ce bon billet, mettant bien en évidence les outrances de certains de nos collègues.
    Il y a cependant un détail (ou une précision) qui manque dans votre billet, au sujet des « collègues amenés à éventuellement diriger des thèses sans avoir d’HDR ». Vous soulignez bien qu’on peut par dérogation faire encadrer un doctorant par des collègues « reconnus pour leurs compétences » et que ceci n’est pas nouveau (vos surlignages des articles 17 du texte de 2006 et 16 du texte de 2016). Cependant, dans l’alinéa juste au dessus des mêmes articles, qui définit qui peut diriger une thèse sans dérogation, disparait en 2016 la fin de phrase qui fait toute la différence « habilités à diriger des recherches ». Cet « oubli » (?) veut dire que seuls les professeurs ou assimilés (directeurs de recherche CNRS ou INRA ou INSERM, par exemple) peuvent diriger une thèse par défaut. D’après ce texte les Maîtres de Conférence ayant passé leur HDR ne peuvent plus diriger une thèse, comme s’était le cas auparavant (sauf dérogation). Or, l’HDR a été « inventée » pour, entre autre, donner une autonomie scientifique aux collègues n’ayant pas encore eu la chance de passer Prof (cf. les carences budgétaires limitant leur nombre). Avec ce nouveau texte, fini cette autonomie puisqu’une thèse ne pourra être encadrée que sous la houlette d’un Prof. Dans cette version, donc, passer l’HDR (habilitation à DIRIGER des recherches !) ne servirait plus qu’à tenter le concours de Prof, et à rien d’autre… Le ministère, informé fin mai par diverses structures fédérant les collèges doctoraux a visiblement avoué une « coquille » qui sera « corrigée » … On attend toujours…
    Bien cordialement

    1. Merci pour votre commentaire (et mes excuses pour sa publication tardive : il avait été placé dans les indésirables…). Effectivement vous soulevez quelque chose qui m’avait totalement échappé. J’avais interprété le texte comme ouvrant plus explicitement la possibilité de diriger des thèses à des MCF n’ayant pas d’HDR. Or, effectivement, on passe ainsi, de :

      « par les professeurs et assimilés au sens des dispositions relatives à la désignation des membres du Conseil national des universités ou par des enseignants de rang équivalent qui ne dépendent pas du ministère de l’éducation nationale ; par les personnels des établissements d’enseignement supérieur, des organismes publics de recherche et des fondations de recherche, habilités à diriger des recherches » en 2006

      à

      « 1° Par les professeurs et personnels assimilés au sens de l’article 6 du décret n° 92-70 relatif au Conseil national des universités et de l’article 5 du décret n° 87-31 pour les disciplines de santé, ou par des enseignants de rang équivalent qui ne relèvent pas du ministère de l’enseignement supérieur, par les personnels des établissements d’enseignement supérieur, des organismes publics de recherche » en 2016

      Il y a ici clairement un « oubli » qui pose question. Il ne me ferait toutefois pas dire de façon catégorique qu' »une thèse ne pourra être encadrée que sous la houlette d’un Prof. » puisqu’il sera toujours possible de diriger des thèses sans HDR et sans être PU en vertu de l’alinéa suivant. Mais effectivement, la formulation laisse penser que dans les écoles doctorales où l’on souhaiterait empêcher les MCF-HDR d’encadrer une thèse, cela sera possible. Inquiétant donc… attendons de voir si la « coquille » sera corrigée…

      1. Je ne suis pas certain que cet oubli conduise à écarter les MCF HDR. Au contraire, au regard de la rédaction, peuvent diriger:
        – les professeurs,
        – les enseignants de rang équivalent
        – les personnels des établissements d’enseignement supérieur et des organismes publics de recherche.
        Il me semble que les MCF (HDR ou pas) entrent dans la 3ème catégorie et que l’on peut inscrire un étudiant en thèse sous la houlette d’un MCF sans HDR.
        De manière amusante, cet oubli – si l’on se borne au texte – conduit à ce que tout personnel universitaire puisse diriger, y compris s’il n’est pas titulaire d’un doctorat. On pourrait ainsi faire diriger une thèse par un ATER non docteur ou un personnel administratif. Le texte me semble le permettre littéralement.

        1. Au temps pour moi, un arrêté du 1er juillet a modifié ce point et rajouter la HDR dans l’article en question. C’est donc, il me semble, un retour au statu quo ante.

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